12 novembre 2020
Une fin de vie
Au crĂ©puscule de sa vie, je me trouve Ă son chevet en ce jour de novembre. La chambre de cette dame trĂšs ĂągĂ©e, petite, Ă©troite, austĂšre, nâavait quâune seule fenĂȘtre. DĂ©sormais, quelques cadres, une peinture de son papa accrochĂ©s sur les murs, une petite bibliothĂšque contenant de nombreux livres, au pied de son lit un bureau et un fauteuil, occupent lâespace de son univers. Elle est allongĂ©e dans son lit placĂ© contre le mur oĂč se trouve au-dessus lâouverture vers le monde extĂ©rieur. Ainsi, en tournant lĂ©gĂšrement sa tĂȘte vers la gauche sa vue peut voyager aisĂ©ment Ă travers le ciel. Son visage pĂąle amaigri est Ă©clairĂ© par la luminositĂ© du jour. Son regard vers la fenĂȘtre scrute les rayons de soleil Ă©pars dans le ciel au couleur dâun Ă©tĂ© indien. Il fait doux. Elle a plaisir Ă me raconter sa matinĂ©e. Ne pouvant plus trop bouger, allitĂ©e dorĂ©navant, elle se sait Ă la fin de sa vie, rĂ©signĂ©e. Elle savoure le chant des oiseaux au dehors qui la ramĂšne vers ses souvenirs lointains. Assise sur une chaise vers le fond du lit, je lui caresse ses jambes douloureuses, la masse doucement par des caresses dĂ©licates, lâespace de quelques Ă©vocations quâelle me confie. Ce matin me dit-elle, avec un sourire incantatoire, F⊠mâa fait Ă©couter une musique avec des chants dâoiseaux pour changer du piano. Il est vrai, que jâadore le piano pour lâavoir jouer tant dâannĂ©es passĂ©es. Câest drĂŽle, soudain un vol dâĂ©tournots passait au-dessus de la maison, et les oiseaux au-dehors sur les arbres environnants accompagnaient la musique. Ils avaient passĂ© la nuit dans les arbres denses de notre jardin. Tout ce petit monde me berçait de leurs piallements. CâĂ©tait un trĂšs bon petit dĂ©jeuner, particulier certes, mais unique. Je mâen souviendrai lorsque je partirai pour mon long voyage. Un peu sourde, la vue baissant, son corps lĂąche petit Ă petit, ces journĂ©es du lit au fauteuil deviennent ordinaires. Elle se laisse glisser doucement, sereine, avec quelques sourires. Sa main dans la mienne, elle a du plaisir, par son regard, Ă me montrer le paysage sur toile quâavait peint son pĂšre durant sa jeunesse. Voici quelques mois, elle mâavait parlĂ© de son papa, de sa jeunesse, comment elle avait connu son mari. A chacune de mes venues, je recueillais ses souvenirs suspendus dans un brin de vie.
La suite âŠ. 28 janvier 2021
En cette journĂ©e printaniĂšre, je me trouvais chez la dame ĂągĂ©e en fin de vie. Madame J. Ă©tait assise sur son fauteuil noir trĂšs confortable dans sa salle Ă manger. Sa fille prĂ©sente Ă©tait assise Ă son cĂŽtĂ© gauche, je me suis placĂ©e face Ă Madame JâŠafin quâelle puisse mâentendre. Jâai pu lire ma poĂ©sie sur ma future toile, poĂ©sie Ă©crite dâaprĂšs son Ă©vocation, confiĂ©e en novembre dernier, sur un petit dĂ©jeuner particulier. Elle Ă©tait Ă©merveillĂ©e, un sourire sur ses lĂšvres pĂąles dâune douceur infinie, quâun Ă©crit poĂ©tique sur ce petit dĂ©jeuner peu ordinaire puisse faire partie de mon prochain livre. Elle sây est retrouvĂ©e dans ce matin lĂ . Elle savourait ma narration de ses yeux grands ouverts, de son regard bĂ©at. La lecture terminĂ©e, elle me fit part du bonheur que je venais de lui apporter dâavoir ainsi figer son rĂ©cit en un Ă©crit qui plus tard accompagnerai ma peinture qui plus ait ferait partie de mon prochain livre. Et de lĂ , elle nous Ă©voqua son meilleur souvenir dâenseignante lorsque sa fille Ă©tait toute jeune qui stupĂ©faite, dĂ©couvrit un des meilleurs moments vĂ©cu par sa maman.
26 février 2021
Dâautres visites sâen suivirent chaque semaine. Parfois un jour J. Ă©tait levĂ©e assise sur son fauteuil Ă la salle Ă manger, somnolente. De tant Ă autre sortait de son silence pour raconter une anecdote sur un simple mot que jâavais prononcĂ©, car elle aimait les mots. Parfois elle restait dans son petit lit. Oh ! bien sĂ»r tout le temps souffrante, mais plus encore ce jour lĂ . Elle ne se lamentait jamais, simplement apprĂ©ciait quelques Ă©changes verbaux, des bisous, sa main dans la mienne, le silence, mais la prĂ©sence si rĂ©confortante. Ma derniĂšre visite fut mardi. J. alitĂ©e totalement depuis quelques jours attendait calmement la dĂ©livrance. Elle Ă©tait jolie, couchĂ©e sur son cĂŽtĂ© prĂ©fĂ©rĂ© vers la fenĂȘtre, une toute petite respiration, son corps commence Ă lĂącher, Ă©puisĂ©e, mais sans bouger sa tĂȘte, elle Ă©coutait trĂšs attentive mes quelques mots. Jâai placĂ© ma joue contre sa joue, lui caressait sa main, lâentourait de mes bras tout en lui parlant du rĂ©cit sur le petit dĂ©jeuner peu ordinaire quâelle avait adorĂ©. Elle fermait les yeux, savourait ce moment ultime de bien ĂȘtre. Plusieurs merci dâune voix frĂȘle sortait de sa bouche silencieuse. Peu aprĂšs, en fin de soirĂ©e, elle sâendormit paisiblement sur un sommeil lĂ©ger, puis profond, prĂ©mices dâune derniĂšre nuit, dâune derniĂšre journĂ©e parmi les siens. Triste bien sĂ»r ce matin au lever, le soleil nâest pas au rendez-vous. Une vie sâen est allĂ©e le mercredi soir Ă 9h. Au mĂȘme moment je terminais cette toile. Nul doute dans mes pensĂ©es jâĂ©tais avec J.
Le pinceau et la plume